mardi 14 octobre 2014

Femmes Tunisiennes et Révolution

Le weekend dernier je devais participer au Congrès anniversaire des Mères pour la Paix "Les femmes déclarent la paix !"  mais malheureusement je n'ai pas pu faire le déplacement a Paris.Cependant je tiens a partager  avec vous le discours que j'ai préparé pour cet évènement :



Mesdames, Messieurs, Bonjour! Je n’en ai pas l’habitude mais cette fois-ci je ne sais pas trop pourquoi -moi Lina Ben Mhenni assez souvent qualifiée par certains de mes concitoyens  de laïque, de maçonnique,  de vendue a l’occident et condamnée a être  liquidée, parait il, parce que je serai hérétique –je tiens a commencer mon intervention par un « hadith », soit : une citation du Prophète Mohammad ! Cette citation affirme que : « le Paradis est sous les pieds des mères ! ». Je ne sais pas ce que vous, vous pensez, mais moi, de ma part, j’y crois. J’y crois même dur comme fer : ce sont bien les mères, et donc les femmes, qui détiennent les clefs du paradis !


Non ce n’est pas du tout dans mes intentions de m’étaler sur ce sujet précis. Je ne l’ai au contraire évoqué qu’en tant qu’entrée en matière pour mon intervention axée sur le thème : « la Révolution tunisienne : un gain/changement pour la femme tunisienne ? », thème déclaré ici sur  le mode interrogatif bien évidemment !
Mais pour pouvoir aboutir a une esquisse de réponse, il me faudrait tout d’abord, brosser- ne serait-ce que de façon rapide –un rappel de la situation  de la femme dans la société  tunisienne d’avant le 14 Janvier 2O11.
On affirmait a toute occasion que le statut de la femme tunisienne était le plus avancé dans tous les pays arabes et musulmans. Le Code du Statut  Personnel promulgué dés 1957,  a instauré le mariage civil, interdit la répudiation  et la polygamie, imposé un âge minimum au mariage et donné une   certaine latitude a la femme pour participer  a la gestion  des affaires de la famille.

Dans la vie professionnelle la femme tunisienne  s’est imposée aux premiers rangs et est devenue majoritaire dans  plusieurs métiers  dont surtout le paramédical, l’enseignement et même certaines  activités  de l’administration. Le nombre de femmes médecins, ingénieurs, chefs d’entreprises ou même pilotes d’avion allait croissant. Certaines sections d’études universitaires voyaient les jeunes filles dépasser les garçons en nombre et en… résultat !
Dans la rue les femmes étaient aussi présentes que les hommes. Avec toutefois cette différence que les hommes passaient beaucoup plus de temps  aux cafés et bars ou  a la mosquée, alors que les femmes devaient  travailler doublement  c’est a dire  en dehors de la maison    et dedans ! L’âge  relativement élevé du mariage (plus de 31 ans en moyenne), l’amélioration relative des conditions  de vie et notamment l’accès  a la voiture privée (grâce a un système de financement  particulier  et a une voiture  dite « populaire » assez adorable par crédit) ont donné aux femmes une certaine liberté, je dirai même une liberté certaine, pour ce qui est de leur vie privée.

Certaines études spécialisées et des sondages effectués de temps a autres affirmeraient  que les tunisiennes  étaient en bonne position pour réaliser leur liberté sexuelle.

Cela ne masquait pas toutefois que la grande majorité des emplois a faibles salaires, ceux faisant partie notamment de l’agriculture et des activités manufacturières étaient occupés par des femmes , que les filles étaient relativement plus nombreuses que le garçons parmi les chômeurs  diplômés, et que l’abandon scolaire était plus fréquent parmi les filles dans les campagnes et dans les cités populaires .

Et pour revenir au coté lumineux du tableau j’y ajouterai que des femmes- essentiellement  celles rassemblées au sein  de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD) – qui étaient parmi les organisations  de la société civile  les plus harcelées par le Pouvoir-  avaient même  évoqué des questions  plus  pointues, j’allais dire, comme l’égalité en matière d’héritage, la violence conjugale et l’abrogation sans réserve de la convention internationale dite CEDAW. Ces femmes et d’autres allaient même  jusqu'à débattre de la nécessaire évolution que devait connaître la présence des femmes dans les instances de l’administration du pays !

Puis advint le 14 Janvier 2O11. La lune était a nous. Tout le ciel était a nous .C’est la au moins ce qui nous a semblé être le cas  pendant ce jour la et les quelques petites semaines qui suivirent ! Beaucoup de femmes-de jeunes femmes  surtout mais aussi des moins jeunes –étaient de la partie. Et aux premiers rangs. Tout d’abord lors des émeutes du bassin minier  en 2OO8  -2OO9  et 2O1O, et parmi les étudiants syndicalistes. Ensuite parmi les cyber activistes (comme on aime nous qualifier en occident) et parmi les contestataires de décembre 2O1O.D’ailleurs et ces jours, il me revient a l’esprit l’image de cette jeune dame qui s’est pendue par les bars a une fenêtre  de la centrale syndicale et qui, en cette position, harangué la foule  et l’électrisa. Me revient  aussi a la mémoire l’image de cette « travailleuse  du sexe » que j ‘ai déjà évoquée dans mon opuscule accourue de son bordel public pour protester contre la répression.

Le 14 Janvier, l’Avenue principale de Tunis n’était pas comme on dit «  noire de monde », mais plutôt colorée, bigarrée et plutôt féminine ! Les jours d’après les blogueurs ont organisé le premier sit-in de l’après 14 Janvier, a la mémoire des martyrs. Sit-in de recueillement  fait de silence et de bougies. Sit-in qui a prouvé que l’essentiel  de la société  (j’utilise ce terme pour rigoler bien sur puisque la plupart des blogueurs  n'étaient affiliés qu’a la … toile) Et cela est un aspect des choses qui n ‘a pas encore  été suffisamment développé a  mon avis) je disais que le sit-in  a prouvé qu’une partie essentielle  des bloggeurs étaient en fait des bloggeuses.




Mais laissez moi dire aussi que ce soir-la  les candides que nous étions, avons  découvert  que notre chemin vers l’avenir radieux n’était point … sans embuches.
En effet, ce soir la nous avons eu notre part d’agressions verbales de la part d’inconnus en civil » qui nous ont accusés d’hérésie (commémorer les martyrs et allumer des bougies étaient illicite de leur point de vue religieux !) et nous ont intimé l’ordre de rentre a la maison (la seule place vraiment  faite pour les femmes !)

Quelques semaines plus tard quand la société civile, ATFD en tête, est sortie manifester pour l’égalité des chances, pour une Tunisie plurielle  et équitable et civique, nous avons en toute latitude pu commencer a réaliser que le véritable combat est encore a venir.

-« La seule place qui vous convient est a la cuisine ! »  A-t-on entendu gueuler !


Puis vivement les élections d’octobre 2O11
Et al le ciel nous est tombé sur la tête. Les appels a la polygamie. Les fatwas et sentences sur l’excision des filles. Le tsunami des niqabs et des habits afghans. Les accusations si fréquentes d’apostasie. L’appel au retour du « Califat », de la suprématie du religieux et a l’application  de la Charia et j’en passe
C’était a  en perdre ses repères. Mais même  en ayant titubé  quelque peu, et quoique  la société politique soi-disant moderniste ayant plutôt choisi de tergiverser, nous avons pu ne pas mettre trop de temps pour nous ressaisir. Il faudrait peut-être dire  qu’Ils (je veux dire les obscurantistes, les nouveaux despotes  se voilant derrière une lecture préhistorique  de la religion) nous ont vraiment aidés.
En allant trop loin dans leur arrogance,  je veux dire. Refus de reconnaître de façon claire et sans détours la primauté des conventions internationales notamment celles portant sur la garantie des droits humains. Appel a la complémentarité  et non pas a l’égalité entre les deux sexes. Rôle inférieur  de la femme au sein du ménage. Rejet du caractère moderne et civique de l’état … Et ce ne sont la  que des exemples ! La société civile active, les associations mais aussi beaucoup de gens « ordinaires » (passez-moi l’expression) se sont mobilisés. Ils se sont mobilisés pour une société moderne, un état civique, le respect des libertés collectives ainsi que les libertés individuelles dont la liberté de conscience. Et contre la barbarie et la violence !
Et quand les forces de l’obscurantisme sont allées jusqu'à l’assassinat, le sang versé des martyrs (Chokri Belaid et Mohamed Brahmi notamment) a vite fait de souder les gens !  Et si vous regardez les images et vidéos  de l’inhumation des martyrs vous allez  vous rendre compte de façon  sure et automatique, allais je dire !-que les femmes étaient la y compris a l ‘intérieur  du cimetière et près des tombeaux. Chose qui a été  d’ailleurs  dénoncée  a cor et a cri par certains fondamentalistes ! Puis , les associations , les activistes des droits humains ainsi que toutes les forces vives du pays ont organisé le sit-in du Bardo, ont réussi  a bloquer le travail de l’Assemblée Constituante et a faire admettre l’adoption d’une ligne de rédaction de la Constitution  qui ne soit pas , du moins pas de façon évidente, contraire aux libertés fondamentales.

Puis nous avons vécu, a l’occasion de la célébration de la Journée Nationale de la Femme, le 13 aout 2O13, ce déferlement coloré et bon –enfant malgré la tristesse. En effet, quelques dizaines de milliers, sinon plus , ont chanté scandé des slogans et marché longuement pour le libertés  et pour l’égalité entre citoyens indépendamment de leur sexe, de leur couleur et de leur croyances.

Le message était clair. La symbolique de l’événement était évidente. Et la mobilisation était forte ! 
Actuellement, nous vivons comme un temps mort. Chacun scrute l’avenir. Les uns désespèrent. D’autres sont confiants. Mais la majeure partie est prête  a se battre et est convaincue qu’elle n’a que le choix de se battre.


Il est vrai que la marée est encore dans la phase du reflux, mais les signes d’une nouvelle avancée  sont bien la.

Et puisque l’objet de mon intervention porte essentiellement sur l’impact de la révolution sur la femme tunisienne je vais me limiter a quelques constats sur le sujet : Les tunisiennes  ont beaucoup appris-me semble t-il de la Révolution, et des quatre  dernières années. Elles ont appris que les droits et les libertés ne s’octroient pas mais s’arrachent. Elles ont gouté aux joies  de la lutte et de la contestation. Elles ont, elles aussi, surmonté leur peur et fricoté avec le gaz lacrymogène et les matraques. Il y a même  eu des martyrs parmi elles. Après des décennies ou la plupart d’entre nous n’étions qu’un troupeau docile, nous avons appris nous tunisiens ne général et nous les tunisiennes en particulier, que notre pays est a nous tous, que si nous voulons accéder au statut d’humains et de citoyens a part entière nous devons le mériter qu’aucun acquis n’est fait pour durer si l’on fait rien  pour le consolider. Après nous être accommodés avec le silence pour près  un demi siècle  nous avons retrouvé  notre voix, nous avons reconquis  notre droit  a nous rassembler . Imaginez vous seulement  ce que cela représente  vraiment pour des gens qui sont nés, ont grandi, sont devenus adultes et même plus qu’adultes sans avoir jamais foulé le sol des places, placettes et avenues pour protester, contester ou revendiquer, et qui de nos jours, trouvent le souffle pour continuer a lutter des années durant ?!

Nous femmes, nous avons  été de toutes les manifestations et marches, de tous les sit-in. Nous femmes nous sommes dans toutes les associations, dans tous les partis. Nous descendons dans la rue, seules, et en compagnie de nos hommes : nos frères, nos compagnons, nos mères, nos pères, nos enfants… On a souvent vu des familles entières marcher cote a cote malgré la violence ou passer la nuit  dans un sit-in  sous la pluie et malgré le vent. Nous femmes nous avons appris que nous pouvons  égaler nos hommes-pour ne pas dire les surpasser en témérité, en initiative et en courage. Nous avons appris a débattre, a négocier et a nous  imposer même, a la  maison, au boulot, dans la société civile et face aux forces de la répression. Et c’est la  que changement il y’a eu, et que gain s’est produit !  On a même vu un certain été, des femmes de Mahdia et d’ailleurs aller chercher leurs conjoints sur les terrasses des cafés  pour les amener aux manifestations.

Tout en comptant  sur votre compréhension et en espérant  que vous vouliez bien m’excuser d’avoir été si longue , je voudrai terminer en paraphrasant la citation par laquelle j’ai commencé pour dire : « La Révolution tunisienne est maintenant sous les pieds des mères, pardon des femmes ! « 
La Révolution tunisienne sera féminine ou ne … s’accomplira pas !



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